et se rencontrent d’une manière qui remet clairement en cause les idées existantes sur l’interaction entre humains et animaux. La chienne et l’humaine travaillent ensemble vers un objectif commun et, dans et au travers de ce processus, elles apprennent à se connaître, se changent l’une l’autre et créent un monde commun basé sur une compréhension mutuelle. Cette élaboration d’un monde est politique car il conteste les frontières d’espèce et nous montre que nous pouvons prendre au sérieux les animaux en tant que sujets, et comment le faire. Cayenne Pepper n’est pas du tout silencieuse. Elle s’exprime et a une influence sur le cours de cette conversation dans laquelle il y a de la place pour la nouveauté.
Bien que ces types de conversations (la communication de Vicki Hearne avec
les chiens et les chevaux serait un autre bon exemple) questionnent les
suppositions ontologico-politiques et sont susceptibles de nous apprendre
quelque chose sur la construction de mondes inter-espèces, prendre sérieusement en compte les animaux et
l’agentivité animale pose des problèmes si le cadre institutionnel plus large
dans lequel ces conversations ont lieu reste en l’état. On peut le constater à
plusieurs niveaux dans le cas de Cayenne Pepper et Haraway. Au niveau
individuel, car l’humain décide qu’un entraînement d’agility aura lieu, [et
quand et comment il aura lieu], mais aussi au niveau de la société et de la
politique. L’interaction se produit dans un monde où les chiens sont élevés par
les humains, où les animaux sont mangés par les humains, et utilisés dans des
expériences pour la recherche médicale : un monde dans lequel les animaux
sont exploités à grande échelle par les humains37. Mon intention
n’est pas de suggérer que les chiens ne peuvent pas apprécier l’agility ou
qu’ils n’ont jamais envie de jouer ou de travailler avec les humains, ou que
toutes les relations peuvent, voire devraient, être entièrement symétriques
dans la répartition du pouvoir. Mais si le contexte général demeure inchangé,
ces interactions prometteuses laissent les animaux dépendants de la bonne
volonté des individus humains de leur entourage, et elles n’atteignent pas leur
plein potentiel (politique). Aussi, bien que ce moyen de conceptualiser les
interactions soit utile pour réfléchir à
la communication interspécifique à un niveau individuel et pour nous ouvrir les
yeux sur de nouvelles formes de coexistence, il paraît nécessaire de chercher comment
des rencontres similaires (ou d’un autre type) pourraient être transposées dans
un cadre institutionnel politique.
Entre humains, certains jeux de langage peuvent être considérés comme des
conversations, et certaines de ces conversations sont politiques. Cela vaut aussi
pour les jeux de langage partagés entre humains et animaux ; certains
peuvent être vus comme des conversations, dont certaines se produisent dans un
contexte politique. Les frontières sont imprécises, d’autant plus qu’il s’agit
d’un nouveau territoire, mais les conversations politiques humaines fournissent
quelques indications. Les conversations politiques entre humains se produisent
dans différentes situations : à l’intérieur et entre des communautés, entre des individus
et des groupes, dans le cadre de
conflits, du militantisme, etc. D’une manière générale, les conversations ne
conduisent pas automatiquement à la compréhension ou à l’harmonie ; la
possibilité d’un malentendu est inhérente à toutes interactions, et le résultat
des actes politiques ne peut jamais être déterminé à l’avance. Néanmoins, des
individus et groupes différents peuvent, en discutant, exprimer leurs points de
vue, et ainsi une plus grande attention donnée aux conversations humanimales
aidera les animaux à faire entendre leurs voix.
On trouve un exemple de situation dans laquelle ont déjà lieu des
conversations politiques humanimales dans l’étude de Jun-Han Yeo et Harvey Neo38
sur les conflits frontaliers entre macaques à longue queue et humains dans la
partie urbanisée de Singapour. La population de macaques indigènes de la réserve
naturelle de Bukit Timah à Singapour est fortement affectée par le développement
résidentiel qui empiète sur son habitat et détruit les corridors fauniques. Le
National Parks Board (l’agence qui supervise la préservation des réserves
naturelles et de la faune) doit constamment jongler entre les plaintes des
résidents et la préservation des populations de macaques. Dans ce conflit,
macaques et humains exercent des pressions, mais à des degrés différents ;
et à ce jeu-là, les macaques sont généralement perdants.
Avant de s’y installer, les résidents savaient que des macaques vivaient dans cette région et ils affirment que se rapprocher de la nature était une des raisons pour lesquelles ils avaient choisi de vivre là. Ils nourrissent aussi les macaques, ce qui a incité ces animaux à s’approcher des installations humaines, et a entraîné des problèmes : les macaques volent la nourriture, font du bruit, et les résidents ressentent souvent les rencontres comme problématiques ou effrayantes. Toutefois, l’attitude des humains n’est pas que négative ; en plus de les nourrir, certains d’entre eux aiment l’apparence des macaques et les sons qu’ils émettent, et de nombreux humains pensent qu’ils ne devraient pas être tués.
Une possible solution à ce conflit serait que les
humains s’en aillent ; ils savaient que les macaques étaient là avant leur
arrivée et ils ont souvent la possibilité d’aller ailleurs. Si c’est
impossible, il est nécessaire de chercher de nouvelles formes de communication.
Yeo et Neo examinent les différentes façons qu’ont les macaques et les humains
d’interagir, comme avoir un contact visuel, décoder le langage corporel de
l’autre, rester à distance ou, au contraire, faire des ouvertures. Les macaques réagissent à la parole des
_______________
37. Pour une analyse détaillée de ce problème dans le travail
d’Haraway, voir Zipporah Weisberg, « The
Broken Promises of Monsters: Haraway », Animals and the Humanist Legacy. JCAS
7/2.
38. Yeo, Jun-Han and Harvey Neo. « Monkey Business: Human-animal Conflicts in Urban
Singapore », Social and Cultural Geography 11.7.
Ph.: Timo Sippala, Macaque Monkeys in Bukit Timah, Singapore. CC By SA.
Ph.: Timo Sippala, Macaque Monkeys in Bukit Timah, Singapore. CC By SA.