par Eva Meijer
Pour Putih
Résumé : Dans cet article, j'examine la pertinence d'une approche relationnelle de l'euthanasie des animaux non humains, en me concentrant sur les animaux compagnons. Des études récentes en éthique animale, en philosophie politique et dans différents domaines des études animales soutiennent que les autres animaux doivent être considérés comme des sujets, plutôt que comme des objets d'étude. Considérer les autres animaux comme des sujets ayant leurs propres points de vue sur la vie, avec lesquels les humains ont des relations diverses et avec lesquels la communication est possible, a des implications éthiques, pratiques et épistémologiques pour la réflexion sur l'euthanasie des animaux non humains. Dans ce qui suit, j’essaie de mettre en lumière certaines de ces implications, en me concentrant sur l'euthanasie dans le cas des animaux compagnons. Je commence par aborder les pratiques des animaux non humains autour de la mort et je questionne l'idée selon laquelle les humains ont une expérience et une compréhension privilégiées de la mort. Dans la partie suivante, j'examine plus en détail la relation entre l'anthropocentrisme et l'évaluation du préjudice que constitue la mort pour les animaux non humains, ce qui fournit un point de départ pour la partie suivante, dans laquelle je compare l'euthanasie des animaux humains et non humains aux Pays-Bas. Ensuite, pour conceptualiser le développement de nouvelles procédures d'euthanasie pour les animaux non humains, je me tourne vers l'intersubjectivité interspécifique et la compréhension qu'ont les humains des autres animaux. Dans la dernière partie, j'aborde la question de l'euthanasie des animaux non humains comme étant inextricablement liée à la question de savoir comment bien vivre avec les autres animaux, sur un plan ontologique et pratique. Je termine en discutant des implications pratiques de cette question et en examinant brièvement comment les humains, en coopération avec les autres animaux, pourraient commencer à développer de nouvelles pratiques autour de la mort.
Introduction
La question de l'euthanasie des animaux non humains n'est pas souvent abordée en philosophie animale. Les militants animalistes contestent principalement la tuerie d'autres animaux au profit des humains, et considèrent souvent l'euthanasie des animaux non humains comme fondamentalement différente de l'euthanasie humaine. On pense que les animaux non humains ne sont pas capables de comprendre leur propre mortalité ou de communiquer sur la mort avec les humains, même s'ils sont de plus en plus considérés dans différents domaines d’études, notamment l'éthique animale, la philosophie politique et l'éthologie[1], comme des sujets ayant leurs propres perspectives sur la vie. Voir les autres animaux comme des individus uniques, avec lesquels les humains peuvent avoir différents types de relations et avec lesquels la communication est possible, a cependant des implications éthiques, pratiques et épistémologiques pour la réflexion autour de la mort des animaux non humains, particulièrement en ce qui concerne leur euthanasie. Les animaux non humains sont confrontés à la mort, éprouvent du chagrin et nombre d'entre eux comprennent le caractère définitif de la mort, et ont parfois même conscience de leur propre mortalité[2]. Les animaux humains et non humains qui forment des communautés ou vivent ensemble au sein d’un foyer seront aussi inévitablement confrontés à la mort. Dans le cadre des hiérarchies de pouvoir actuelles, les humains ont parfois un devoir de soins envers les autres animaux, ce qui peut inclure le fait de prendre des décisions quant à la fin ou à la continuation de leur vie. Dans ce qui suit, j'examine donc la pertinence d'une approche relationnelle de l'euthanasie des animaux non humains, en me concentrant sur les compagnons animaux. Le développement d'une perspective critique sur l'euthanasie des animaux non humains est pertinent non seulement pour améliorer les décisions individuelles, mais aussi parce que cela peut remettre en question l'anthropocentrisme au sein de la société.
La première partie de cet article se concentre sur les expériences de la mort chez les animaux non humains et sur leurs attitudes face à elle. Des recherches éthologiques récentes montrent que les autres animaux ont leurs propres manières de faire face à la mort et leurs propres façons d’éprouver un deuil. Utiliser une norme humaine comme mesure est problématique pour des raisons normatives et épistémiques. Dans la deuxième partie, je remets en question le point de vue selon lequel les humains possèderaient une compréhension privilégiée de la mort, en examinant de plus près la relation entre l'anthropocentrisme et l'évaluation du préjudice que la mort cause aux animaux non humains. Cela fournit un point de départ pour comparer l'euthanasie des animaux humains et non humains aux Pays-Bas, ce à quoi je m’emploie dans la troisième partie. Afin de prendre au sérieux l'agentivité et la subjectivité des animaux non humains, ainsi que les relations inter-espèces, il est nécessaire d’élaborer de nouvelles procédures d'euthanasie dans lesquelles l’agentivité des autres espèces est reconnue et formellement prise en considération. Pour cela, il faut développer la conceptualisation de l'intersubjectivité inter-espèces, afin de mieux comprendre les autres animaux. Dans la dernière partie, je tire quelques conclusions générales et montre comment la question de l'euthanasie des animaux non humains est inextricablement liée à la question de savoir comment bien vivre avec les autres animaux, sur un plan ontologique et pratique. Je termine en discutant des implications pratiques de ces réflexions et en examinant de quelles façons les humains pourraient développer, avec d’autres animaux, de nouvelles pratiques autour de la mort.
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¤ Essai paru en
2018 dans Animal Studies Journal, vol. 7 (1), sous le titre “The Good
Life, The Good Death : Companion Animals and Euthanasia”, traduit par Marceline
Pauly et publié sur le blog animal sujet avec la
permission de l’auteure et du Journal.
[1] Par exemple, respectivement : Elisa Aaltola ; Sue Donaldson et Will Kymlicka ; Marc Bekoff, Les émotions des animaux, Rivages, 2018, trad. Nicolas Waquet.
[2] Par ex., Gay A. Bradshaw, Elephants on the Edge ; Barbara J. King ; Jessica Pierce.
Eva Meijer est philosophe. Elle travaille en tant que chercheuse postdoctorale à l’Université d’Amsterdam sur un projet intitulé «La politique de la (non) consommation d’animaux ». Elle est l’auteure de 12 livres – essais et romans. Certains sont disponibles en français et anglais :
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